Le soleil éclatant de cette journée se reflétait sur les lunettes noires de Yuna qui avançait tête haute dans la brise matinale qui remuait ses cheveux détachés. Elle huma l'air sec des belles saisons, tout en montant les escaliers qui menaient au toit du pensionnat. C'était un endroit où elle n'était encore jamais allée du haut de ses 2 jours d'arrivée. Quand son pied se posa sur la dernière marche de granit, elle déboucha sur une petites coursive surplombée d'une tonnelle, le genre de truc ou les jeunes amoureux vont batifoler les soirs d'été. Il y avait des fleurs partout, dans des longs bacs de pierre qui semblaient peser trois tonnes.

Tout d'abord, Yuna crut que c'était qu'ça, le toit. Un petit banc entouré de chèvrefeuille et de fleufleurs, dans un endroit chatoyant avec une vue imprenable sur la mer, au loin. Elle n'arrivait pas à trouver ça beau, c'était plus fort qu'elle. Le soleil lui chauffait le dos comme une bouillotte ; des fleurs émanait un agréable parfum estival. Quand elle y réfléchit, elle se dit qu'il devait forcément y avoir autre chose, vu qu'le toit était censé être le dessus de TOUT le pensionnat, et vu le dédale à moineaux qu'il constituait, cet endroit devait être similaire. C'est alors qu'elle aperçut le passage. Au détour d'un palmier, derrière, elle vit que les dalles blanches se prolongeaient. Elle s'y dirigea, comme la pièce maîtresse d'un échéquier qu'un joueur bougerait, elle suivait les dalles, et au bout, stoppa net. Ses bottes de cuir étaient à la jonction de deux parties du toit. D'un côté, d'où elle venait, le sol était soigneusement dallé, propre, serti de fleurs, et de l'autre de mêlaient sable, terre battue et elle ne savait pas quoi pour créer un mélange compacte qui crissait sous les pieds. Là, il n'y avait pas de petites fleurs de toutes les couleurs qui entouraient le lieu, mais un grillage, comme pour en condamner l'accès. Il semblait que cet endroit soit voué à l'abandon, ne recevant que très peu de visites comparé au taux de popularité du petit coin de paradis d'l'autre côté. Yuna posa son regard sur les seules fleurs qu'on avait autorisé à pousser dans cet endroit aride, des roses rouge comme le sang. Pour beaucoup les roses signifiaient l'amour. Eh bien, si c'est vrai, ça veut dire que l'amour est dangereux. Car les roses ont une belle tonne de piquants bien plantés dans leur tige rigide. C'était comme ça que Yuna voyait les choses.

Ce n'est qu'à ce moment-là que Yuna la vit. Une jeune fille, penchée sur les roses. Perdue dans ses pensées. En train de rire toute seule comme une anormale qu'elle était.

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- Meiko ? Meiko, t'es là ?
- Bah ouais, un peu. Tu m'as vue rentrer.
- ...
- Arrête de faire cette gueule d'ahurie, Yuna.
- L'ahurie t'emmerde.
- L'ahurie voulait me voir pour quoi ?

Le visage ironique de Meiko se tenait dans l'encadrement de la porte. Elle avait le don de savoir énerver Yuna, et c'est comme ça qu'elle avait appris à se défendre par les mots, Yuna, à force elle avait appris à répondre aux attaques de Meiko, et on peut dire que Meiko était une experte en ce qui conscernait l'ironie.

- J'voulais qu'on s'réconcilie.
- Hahaha. OK, alors tu me rachètes dix bouquets de roses.
- J'ai pas assez d'fric. Et puis je t'ai pris que 3 roses.
- ... qui étaient destinées à la tombe de grand-père.
- J'le savais pas !
- Rien à foutre ! Tu m'fais chier, à la fin ! Dégage !
* KBAM ! *

La porte de la chambre de Meiko claqua juste devant Yuna. Atterrée, pleine de colère et de ressentiment contre sa grande soeur qui lui semblait tellement se moquer d'elle, avec ce petit sourire en coin qu'elle avait toujours lors des disputes, ce sourire que Yuna ne portait pas dans son coeur.

Un peu plus tard, Meiko oubliait tout. Quelques heures après. Et là, elle en devenait vulnérable.

- Yuna ?
- ...
- T'es là ?
- Sans blague. C'est ma chambre nan ?
- J'voulais...
- T'as pas à ouvrir la porte d'ma chambre. Reste dehors.
- Mais t'es conne ! C'est bon, c'était pour s'réconcilier !
- Ouais, bah j'ai pas envie. PLUS envie.
* KBAM *

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Elle revint brusquement au moment présent. Mais pourquoi elle retournait dans ses souvenirs-là ? Elle en avait plus rien à foutre de Meiko.

Non. Elle mentait. Elle avait envie d'l'oublier, Meiko, mais si on pouvait oublier les gens juste en l'ordonnant à son esprit, Yuna aurait déjà oublié tout le monde.

Dans sa vie d'avant [ elle appelle vie d'avant les moments ( assez ) heureux qu'elle pasait avec sa famille, avant l'évènement qui la fit haïr Meiko ], ce n'était pas non plus tout rose, à l'inverse de ce que laissait entendre l'histoire qu'elle avait écrite dans son formulaire d'entrée à Mitsuko. Elle avait voulu se créer une vie, la plus heureuse de toutes les vies les plus heureuses résumées dans les formulaires d'inscription. Il y avait des moments où Meiko était dure avec elle, et c'était peut-être ça qui, curieusement, faisait qu'elle l'admirait.

Ses grands yeux se tournèrent de nouveau vers la jeune fille.

" Eh ben, tu dois avoir une vie vraiment merdique pour venir chercher réconfort auprès d'ces fleurs merdiques "

'' T’as pas changé, à c’que j’vois. Toujours aussi accueillante, Miss Emy. C’beau à voir. ''

Yuna sourit ironiquement. Plus d’un an qu’elle n’avait pas revu Emy. Mais, où l’avait-elle connue, déjà ? Ah oui. Emy venait passer quelques mois au Japon, pile près de l’endroit où Yuna habitait. C’est peut-être à cause de leur caractère associable et dérangé qu’elles se lièrent d’amitié ce jour-là.
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Il faisait un soleil radieux, le ciel était bleu, pas même un nuage tourbillonnait dans la légère brise de la matinée. L’air ambiant était bon à respirer, il sentait les fragrances estivales à plein nez. Dans un petit quartier calme d’une station balnéaire d’Hokkaido, les rues étaient presque désertes. Tout le monde était parti à la plus grande plage de la ville, délaissant les rues pourtant agréables avec ce beau temps. Les arbres frémissaient de temps à autre et le soleil rendait leur feuillage vert éclatant. Dans ce quartier, les habitations se ressemblaient toutes : petites maisonnettes de poupées, avec leur toit de tuiles ou ardoises et leurs volets de bois peints de couleurs vives, un ridicule petit portillon d’à peine un mètre censé délimiter le terrain et incarner l’entrée du jardin fleuri. Comme quoi, ces gens-là ne connaissaient pas le crime, ça se voyait, ils n’avaient pas peur des cambriolages ou des visites importunes. Mais, caché, il existait, le crime, et se faisait éradiquer dans l’ombre. Peu de monde le savait, et c’était souvent ceux qui avaient les plus grands portails ou qui avaient pris la précaution d’entourer leur périmètre d’une haie qui étaient au courant.

Si vous interrogiez ces personnes, elles désigneraient une petite maison aux volets gris clair, dont le jardin alentour disparaissait presque sous les fleurs multicolores, et vous répondraient que c’était grâce la famille qui habitait là, que les parents, chasseurs de prime en secret, recevaient régulièrement dans leurs boîte aux lettres des avis de recherche avec une prime à la clé. Souvent, c’était en fouillant dedans qu’ils avaient découvert la vérité. Effectivement, la famille Tsukino en apparence normale ne vivait que de ces récompenses ( fort élevées ), et parfois arrondissait leur fin de mois avec des petits boulots d’été ( souvent serveuse dans un bar de plage ) exécutés par leur fille aînée. On connaissait pas mal les sœurs Meiko et Yuna, dans le quartier. Mais un jour, soudainement, sans savoir pourquoi, la famille était partie définitivement d’Hokkaido sans donner de nouvelles.

Yuna se tenait en vue de la maison. Plantée sur le trottoir, l’air las et fatigué, ou peut-être tout simplement nostalgique ( mais elle ne l’avouera jamais ), elle ne faisait qu’observer, sans un mot, sans un mouvement. Elle avait trouvé un pensionnat prêt à l’accueillir dans une ville voisine. Mais elle s’ennuyait à la pension Midori. Fidèle à elle-même, elle était arrivé depuis peu et s’était pas précipitée sur des amis à se faire. Elle préférait les analyser, les évaluer, et s’ils n’étaient pas trop cons, elle pourrait tenter vite fait une approche.

Elle s’était donc rendue en pèlerinage ( ouais, pèlerinage ) dans la petite ville d’Osekida, où elle était née il y a pas mal d’années de cela. Elle avait retrouvé sa maison, « ses » plages, « ses » boutiques qu’elle dévalisait en rieuse compagnie de Meiko... Cela faisait tellement longtemps qu’elle avait quitté tout ça, et chaque pas lui plantait un énième couteau dans le cœur, un souvenir des temps heureux.

Elle était seule dans la rue. On n’entendait pas un bruit, sauf le grignotement de Shinrei aux prises avec un biscuit. Malgré le beau temps, il n’était pas sorti de la poche de Yuna. Tout à coup, un bruit, qui lui coupa net toute rêverie. Quand elle se retourna, ce fut pour se retrouver nez à nez avec une jeune fille d’exactement son âge ( elle en était sûre ). Alors, Yuna, au grand étonnement de l’autre fille, alla se hisser sur un muret sans un mot, l’observant. Ignorer, elle savait le faire, Yuna. Une demi-heure après, aucune des deux n’avait bronché. Mais Yuna se leva soudainement.

- J’dois y aller. J’reviens demain à la même heure.
- ...
- A demain.

Yuna rentra au pensionnat et alla s’enfermer dans la chambre qu’elle occupait seule. Elle aurait tellement voulu que sa meilleure amie Narumi soit là avec elle. Depuis quatre jours qu’elle était arrivée, elle avait pas été foutue de se trouver une coloc. Et sur son lit, elle se mit à réfléchir. Serait-elle là le lendemain, l’autre ?

Gagné. Lorsque Yuna arriva dans la fameuse rue, l’autre fille semblait l’attendre debout à l’angle. Après une hésitation invisible, elle se dirigea vers elle.

- ...
- ...
- Yuna.

Pendant une ou deux secondes, l’autre ne sembla pas comprendre sur le coup. Yuna en déduisit qu’elle n’était pas née au Japon, et, n’étant pas habituée aux prénoms japonais, n’avait pas saisi que Yuna venait de lui confier le sien. Néanmoins, elle finit pas répondre.

- Emy.
- Anglais. *
- Japonais.

[* Le prénom, pas la fille. Allemande, je sais =P ]. Ah, apparemment, cette Emy avait compris le mode de fonctionnement de Yuna. Celle-ci esquissa un sourire, seulement une esquisse. Elles allaient s’entendre. Après avoir invité Emy à revenir le lendemain, la d’moizelle Tsukino se retira encore une fois vers la pension Midori.

Un mois après, Yuna ne passait presque plus de temps au pensionnat, préférant le dépenser avec Emy, son inséparable complice. Elles s’étaient tout de suite attachées, reconnaissant l’une dans l’autre la personne qu’elles attendaient. Yuna faisait le mur la nuit pour retrouver Emy, et cette dernière passer ses journées au pensionnat malgré l’interdiction. Avec Emy, Yuna était transformée. Elle n’ignorait plus son professeur lorsqu’il l’interrogeait malgré elle, elle tentait de créer quelque chose qui ressemblerait à un sourire lorsqu’une fille de sa classe lui adressait quelques mots, et elle mangeait même un peu plus.

Mais un jour, subitement, plus de trace d’Emy. En première réaction, Yuna lui en voulut terriblement, la maudit, la détesta de l’avoir abandonnée ainsi, d’être partie sans le lui dire. Et puis en réfléchissant, elle se dit que c’était mieux ainsi. Elle allait redevenir normale, solitaire, fière, hautaine, ironique, désagréable avec le monde entier. Et toute cette histoire de soi-disant amitié serait du passé oublié.

Le lendemain, sur un coup de tête ( de toute façon, toute la vie de Yuna se créé par des coup de tête ), elle avait ramassé ses affaires et quitté la pension Midori à jamais, espérant ne plus avoir à remettre les pieds ici.

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Ce qui était le plus con, c’était qu’elle avait Emy juste devant les yeux, et qu’elle ne savait pas quoi lui dire, préférant garder sa fierté et ravaler toute cette rancune qui débordait presque de son cœur, s’ajoutant à toute les autres choses qu’elle gardait en mémoire, faisant genre de les avoir oubliées à jamais.

C’était cela, l’orgueil de Yuna.